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L'analogique et le contigu (2/3)
R. Jakobson : la question des deux pôles
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"Il y a deux opérations fondamentales sous-jacentes au comportement verbal : La sélection et la combinaison."



Divisions du texte :

- 1er article- Les sources : R. Jakobson
- 2ième article : - La question des deux pôles
- 3ième article : - Encodage et décodage


Chapitres :
1) L'apport de Kruszewski
2) un exemple célèbre : la hutte
3) Les deux facultés maîtresses de l'esprit humain
4) En résumé :
5) Codes et message, unités linguistiques de différents rang


L'apport de Kruszewski

A notre connaissance c'est en 1955 et en 1956 que Roman Jakobson, à propos des aphasies, met en avant la bipolarisation objet de notre étude.

Mais il écrit dès 1963, en hommage au linguiste polonais Kruszewski : "il y a deux opérations fondamentales sous-jacentes au comportement verbal : La sélection et la combinaison. Dans son "Aperçu de la science du langage", publié il y a 80 ans mais toujours capital, Kruszewski relie ces deux opérations à deux modèles de relations : il fonde la sélection sur la similarité, la combinaison sur la contiguïté".

On choisit les mots et on construit les phrases, ce double comportement de toute personne qui parle permet de définir, pour Jakobson, les deux termes cités :

- la sélection est un choix et une comparaison : elle implique, entre deux termes alternatifs, la possibilité de substituer l'un à l'autre, équivalent du premier sous un aspect, différent sous un autre ;

- mais c'est en combinaison avec d'autres signes qu'apparaît nécessairement un signe linguistique, lui-même composé d'éléments constituants.

Dans l'article de 1956 l'auteur s'attache à montrer que ces simples opérations ressortissent à des attitudes psychiques d'une portée beaucoup plus vaste, conformément à l'intuition de Kruszewski.

Il relève d'abord que la similarité peut prendre des formes et des degrés variés. Lorsque, entre des entités distinctes, l'esprit reconnaît "la similitude, l'équivalence, la ressemblance,l'"être comme", l'analogie(...), le contraste", c'est la capacité de sélection qui est en jeu.

La combinaison implique, de son coté, "sous différentes formes et degrés, la relation externe de contiguïté : voisinage, proximité et éloignement ; la subordination et coordination". Autrement dit, l'esprit humain, par la faculté de combinaison :

- reconnaît que des entités, ayant des éléments distincts, font partie d'un même ensemble ;
- il peut les associer dans un ensemble commun.

La combinaison est congruente à la métonymie, la sélection est congruente à la métaphore. Pour préciser ces deux procès distincts, Roman Jakobson recourt à une illustration expérimentale par le moyen du test psychologique souvent rapporté :


un exemple célèbre : la "hutte"

Lorsque des sujets sont mis en présence d'un nom servant de stimulus (par exemple : hutte) deux prédilections linguistiques se manifestent habituellement, révélant les deux opérations en cause ; la réponse est donnée soit comme substitut (similarité) soit comme complément (contiguïté), généralement une phrase. Les réponses "cabane, "cahute", voulues comme des synonymes, sont de l'ordre de la similarité.

Notons qu'elles sont recherchées dans le langage (relation interne) puisque le sujet, sans se détacher du référent, s'attache à produire un équivalent linguistique.

La réponse "a brûlé" est de l'ordre de la contiguïté. En aucune manière le feu ne saurait évoquer ou renforcer spécifiquement l'idée d'une hutte ; c'est une métonymie, un rapport extralinguistique (relation externe).

De ce point de départ, le double caractère du langage, l'auteur met en évidence une dichotomie qui, dit-il, "s'avère d'une signification et d'une portée primordiale pour comprendre le comportement verbal et le comportement humain en général".

Avant d'aller plus loin dans les travaux de Roman Jakobson, il convient de nous attarder un peu sur les outils conceptuels utilisés :

métaphore / métonymie ; contiguïté / similarité ; combinaison / sélection


les deux facultés maîtresses de l'esprit humain

C'est MORIER qui propose, à nos yeux, l'avancée la plus clarificatrice. L'acte de langage, dit-il, fait appel à deux facultés maîtresses de l'intelligence, l'une choisit les mots, l'autre les combine. Il appelle comparativité, l'activité mentale procédant à la comparaison de deux ou plusieurs réalités. Plus précisément, dirons-nous, c'est l'activité mentale par laquelle l'esprit procède à l'abstraction des caractères communs entre une ou plusieurs réalités présentes à la pensée.

L'auteur suit et développe les idées de Roman Jakobson, mais en introduisant la notion de comparativité il précise utilement une terminologie en même temps qu'il affine les concepts. Evoquant la célèbre étude des aphasies, il dit renoncer à l'expression "trouble de la similarité" parce que ce trouble affecte une fonction. La similarité n'est pas une fonction, c'est un état, une qualité, un rapport. La comparativité gouverne la métaphore et détermine les rapports de similarité. L'opération de l'intersection, dit-il, est bien le fondement de la comparativité (donc de la métaphore). C'est elle aussi qui distingue le contraste et l'absence de similarité. Au plan du langage, la comparativité distingue les antonymes comme elle le fait des synonymes.

La connectivité est "l'activité mentale qui, après avoir reconnu l'existence d'une contiguïté de sens, de situation (temporelle ou spatiale) ou encore de destination, entre deux ou plusieurs réalités, les unit dans un rapport d'égalité (coordination), de hiérarchie (subordination), ou de correspondance contingente (application)" (10), c'est-à-dire, sous un aspect quelconque, dans une unité fonctionnelle.

Là encore MORIER appelle à distinguer état, fonction ou qualité en proposant le terme de connectivité. Par cette faculté l'esprit humain procède à deux opérations très importantes. Soit il discerne des liens de dépendance ou d'interdépendance dans deux ou plusieurs réalités perçues comme distinctes et les connaît comme parties d'un même ensemble, soit il fonde ces liens et institue lui-même ces réalités en un ensemble commun. C'est en somme une capacité de décomposition - recomposition.

On conçoit la place de la connectivité dans le circuit de parole :

- le sujet parlant (le locuteur) après avoir choisi les mots les combine en phrases par le pouvoir de cette faculté ;

- l'auditeur, à l'inverse, reçoit le contexte déjà constitué, il doit discerner la présence ou l'absence des liens connectifs qui subordonnent ou coordonnent, en un ou plusieurs ensembles ou sous ensembles, les unités élémentaires, c'est-à-dire les mots. Les pouvoirs de la connectivité qui sont la subordination ou inclusion, la coordination permettent aussi d'exprimer l'absence de points communs, (la négation de la coordination). La connectivité relie la cause à la conséquence par un rapport d'application à l'intérieur d'un champ sémantique. La connectivité gouverne la métonymie par laquelle un ensemble contient et implique une partie. A l'inverse elle indique qu'une partie n'appartient pas à tel ensemble disjoint.

L'apport de MORIER permet de dégager ces concepts par lesquels il érige en facultés maîtresses deux fonctions fondamentales de l'esprit humain. Cette brillante résurgence de la rhétorique vient pointer et combler une étonnante carence de la psychologie scientifique.

Il est à souhaiter que celle-ci ne reste pas plus longtemps aveugle à cette remarquable ouverture.


En résumé :

La comparativité gouverne :
- La similarité qui est un état ou un rapport.
- La sélection qui est l'opération par laquelle l'esprit choisit et discerne les ressemblances et dissemblances. Tous systèmes codés lui sont assujettis.
- La métaphore qui est création de sens par abstraction de caractères communs.

La forme schématisante en est l'
intersection.

La connectivité gouverne :
- La contiguïté qui est un état ou un rapport ;
- La combinaison qui est une opération de composition - décomposition d'une unité fonctionnelle, éventuellement extralinguistique.
- La métonymie qui rend compte, au plan du langage, d'un ensemble compréhensif (parties d'un même ensemble). Elle traduit dans le langage les rapports extralinguistiques.

La forme schématisante est la figure d'inclusion

En somme ces deux facultés maîtresses de l'esprit humain gouvernent l'une les rapports d'exclusion et de similarité, l'autre les rapports d'inclusion et de contiguïté.


Code et message, unités linguistiques de différents rangs

On comprend que la voie choisie par Roman Jakobson, lui ait fait pressentir la grande portée des procès dont il saisit et expose les effets. Il relève cette donnée essentielle que la bipolarisation se répète à l'intérieur d'unités linguistiques de différents rangs.

a) Au premier niveau :

"la sélection concerne les entités associées dans le code mais non dans le message donné".

Cette phrase dévoilera plus loin son importance. Le code qui forme la substance communiquée des échanges linguistiques est, en lui-même, et par nature, assujetti aux postulats logiques de la similarité, en opposition au message.

b) Au niveau du signe, on observe que les mots sont constitués de phonèmes sélectionnés et combinés en un tout.

c) Le double caractère se retrouve au niveau d'unités linguistiques élargies, également codées sous contrainte. Ainsi ce sont des règles qui codifient la construction des phrases, qui constituent elles-mêmes le contexte des mots. Ces règles ont la caractéristique d'un code (similarité) et régissent la combinaison des unités signifiantes plus petites.

d) Jakobson perçoit que, au-delà de la phrase, l'énoncé obéit à la même bipolarisation qui le constitue en son sens.

e) Les unités sémantiques réelles ou virtuelles obéissent à des lois comparables qui ne sont plus grammaticales mais d'essence psychosociales. Nous touchons ici au courant de pensée qui relie Jakobson au structuralism
e.

La bipolarisation, étroitement liée au sens, ne contient pas chez cet auteur l'antagonisme qui apparaîtra chez Lucien SEBAG mais il met l'accent mis sur l'importance majeure de la consécution des ordres.





 









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