Comprendre l'alcoolisme


La question de la volonté


en clinique alcoologique


D'après : "La question de la volonté en clinique alcoologique", in revue Nervure.
Texte abrégé ; vers le texte développé





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Un problème de satiété
La prohibition du premier verre
Des besoins non différables


Un problème de satiété

L'arrêt de la boisson est-il une question de "volonté"? Ce terme revient souvent dans les propos des alcooliques et de leurs proches. Il n'est pas innocent. Il sous-entend une grave disqualification de la personne.

Certes, il est reconnu que le patient consomme contre la raison et contre sa volonté, mais, au-delà, un non-dit médical des plus nocifs est opposé à cette notion. Toute allusion à la volonté prend en défaut la pensée scientifique qui répugne à subordonner l'objet de science au sentiment d'une obligation découlant d'une valeur jugée supérieure. La psychanalyse comme les théories comportementales la délaissent dans le champ de la morale.

Mais dans la maladie alcoolique que propose-t-on au patient sinon une sagesse? C'est justement par là que reste béante l'appréciation morale, et, dans les institutions soignantes, la notion de volonté a les caractéristiques d'un tabou impossible à intégrer.

Le problème change si l'on admet que deux hypothèses peuvent rendre compte de cette "maladie de la limite":

- soit celle de l'intensification du besoin, communément admise ;
- soit celle du défaut de satiété correspondant, ce qui est tout autre chose.

Chacun sait que des aliments solides et liquides sont nécessaires à l'homme. Cette distinction va avec la reconnaissance des deux messages de la faim et de la soif par lesquels l'esprit humain perçoit les nécessités du boire et du manger et y ajuste ses conduites. Ces deux signaux, qui proviennent du corps, mobilisent progressivement les ressources conscientes de l'être dès lors qu'ils sont présents à la pensée. Mais ils ne vont pas sans leurs contraires, les signaux de satiété, dont la fonction de gestion et de contrôle sur la quantité est essentielle. On ne peut donc considérer les conduites du boire et du manger sans prendre en compte la dualité antagoniste des signaux correspondants, et donc l'association régulatrice de leurs contraires. Les deux visages de l'affection apparaissent alors :

- l'un sous le signe de la démesure, qui recouvre la toxicologie physique et mentale de l'alcool ;
- l'autre, sous le signe de l'abstinence, silencieux, mais mieux compris si l'on remarque qu'il organise, dans sa logique et sa pratique, ce temps essentiel qu'est la post-cure de la maladie alcoolique.


La prohibition du premier verre

Ces deux états contraires d'addiction et d'abstinence, sont rarement interrogés dans les caractéristiques qui les gouvernent et les opposent. Or l'écoute des patients et anciens patients fait entendre une évidence cachée : à rebours des processus alimentaires courants, ce n'est pas l'absence de la substance alcool qui crée le besoin de l'ingérer, mais sa présence dans l'organisme. Spectateurs impuissants de leurs excès de consommation, avides "d'augmenter les doses", la plupart des victimes de l'alcool en viennent à ce constat :

"quand je commence, je ne peux plus m'arrêter"

Ce défaut indique la non-apparition de l'arrêt instinctif, le besoin étant accentué sans recours par l'alcool qui possède la propriété d'annuler et, probablement, d'inverser les processus limitatifs. Ceci explique que l'abstinence absolue soit la seule protection contre l'inéluctable récidive. Passée l'urgence toxicologique, la prévention de la moindre ingestion d'alcool devient la préoccupation principale. Quitte à affronter toute la symbolique sociale.

Cure et post-cure reposent donc sur cet axiome informulé : ce n'est pas l'absence d'alcool dans le corps qui crée l'appétit contraignant, mais sa présence. La prohibition du premier verre, précepte thérapeutique universel, n'a pas d'autre sens.

Le fait central découle donc de ceci : il n'est pas possible d'abandonner la recherche ni la consommation d'une substance, à partir du moment où le besoin de l'ingérer est activé par son manque. L'obéissance aux messages de faim et de soif est liée à la survie de l'espèce. Au delà d'une certaine urgence, la "volonté" cesse d'être opposable aux conduites alimentaires mises au service de l'auto-conservation.

Dans le cas de l'alcool il n'est pas davantage possible d'abandonner cette recherche à partir du moment où le besoin de l'ingérer est activé par sa présence dans l'organisme.

Certes la réponse à ces besoins fait appel à des actes conscients. Certes leur perception est dans le pouvoir de la pensée. Mais la faim et la soif émanent de parties de l'âme qui ne sont pas l'esprit et l'être ne peut se soustraire à leur réquisition. La conduite des actes de nutrition fait appel à la somme des capacités de l'être (intellectuelles, cognitives, mnésiques). Ces instruments de la raison, aptes à l'arbitrage du vouloir, sont sollicités par des fonctions instinctuelles soustraites à la libre intention, donc à la volonté du sujet.

Ces besoins non-différables mobilisent la raison informée et les comportements cognitifs, fondements de l'action volontaire. Mais la volonté, non seulement ne leur est pas opposable, mais,pour la survie de l'espèce, se met à leur service. Si le patient alcoolique perçoit une faillite du vouloir à l'endroit de l'alcool, la cause première doit être recherchée dans cette perturbation de la satiété qui, pour un motif erroné et non expliqué, crée le besoin contraignant d'obéir à son corps.


Des besoins non différables

La constitution de cachettes et provisions est un symptôme fréquent, tel patient n'enterrait il pas ses bouteilles dans le jardin ou son chien enterrait ses os. Cette "attitude typique de l'alcoolique", remarquait un patient, n'évoque-t-elle pas les gestes universels de préservation en des époques de disette où chacun s'assure des provisions et les dissimule ?

La "perversion" que représente cette affection se joue dans un espace où il ne saurait être question d'une satisfaction différée des besoins ; les pulsions de survie alimentaires, qui paraissent en jeu ici, ne sont pas réductibles autrement que par leur satisfaction. Détermination pré-oedipienne, pour les psychanalystes, même radicalement en deçà de l'oedipe, et qui, pour cette raison ne peut produire qu'une désocialisation à nulle autre pareille... malgré l'intégrité souvent vérifiée de l'appareil psychique.





Témoignages :

Objet: guérison ; Date: Tue, 8 Jan 2002 03:29:43 EST

"Je suis ancien alcoolique, guéri depuis 20 ans. Je me considère guéri car je suis bien ma tête et dans mon corps; je n'éprouve plus le besoin de prendre des boissons alcoolisées. Je suis guéri parce que je suis abstinent et si je rebuvais je serais de nouveau malade. Hier, j'ai eu un rhume : je suis resté chez moi pour le soigner bien au chaud. Deux jours après je suis ressorti mal couvert et j'ai attrapé de nouveau un rhume. Si je reprends un peu d'alcool, je serais de nouveau malade. Je pense que le malade lui même se rend compte de sa guérison ; s'il peut tenir à une table lors d'une cérémonie quelconque et que l'alcool coule à flot ; qu'il n'est pas d'envie et que quelques jours plus tard aucun flash ne s'est produit, je pense que ce malade peut se dire guéri. Ne pas retoucher à l'alcool n'est pas la preuve que l'on est pas guéri. Sans alcool on est pas malade c'est lorsqu'on en boit qu'on est malade. Honnêtement, ça sert à quoi de boire de l'alcool ? Une personne qui n'a jamais été dépendante, peut, elle, boire très modérément de l'alcool car il faut reconnaître que ce produit, s'il est bien utilisé, il est bon. Mais nous autres anciens malades de l'alcool à quoi bon en reprendre quand on a fait le choix de ne plus en boire".

Voir aussi l'histoire de Denis ou celle de Jacques







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