Témoignage de Denis









Ce témoignage est également consultable en ligne à cette adresse :
http://perso.wanadoo.fr/alcooliques-abstinents/te2.html







Chapitres :
1- L’enfance
2- L’adolescence

3- L’adulte et la vie de couple

4- Une occasion ratée

5- Le détonateur

6- La première explosion

7- Un répit

8- Les années noires

9- La rupture

10- Les années sombres

11- Prise de conscience

12- Abstinent vers la sobriété







1- L’enfance

Je suis né dans une famille à revenu modeste mais d’un bon niveau culturel. Mon père a été peu présent dans ma prime enfance. Il était physicien et chimiste au Palais de la Découverte à Paris (musée scientifique de vulgarisation, précurseur de la Cité des Sciences de La Villette). Pour compléter les ressources du ménage, il donnait des cours dans une école privée avant et après son travail ainsi que durant son seul jour de repos le lundi. Ma mère donnait également des cours de math.

Nous vivions à 6 dans 3 pièces, mes parents, ma grand-mère paternelle et mes 2 sœurs. Avec le recul, je crois avoir eu une jeunesse heureuse, bien que cette promiscuité ait été un obstacle à mon développement psychologique. Ma grand-mère, des mes 10 ou 12 ans, me racontait les frasques extraconjugales de son mari. Elle m’a donné, sans le vouloir, une fausse idée de la relation amoureuse et de la sexualité.

Nous formions une famille unie avec ses joies, ses peines et ses prises de “ gueule ” suivit de réconciliations toutes aussi bruyantes. Mes parents étaient très dynamiques et recevaient souvent des gens d’un groupe de réflexion. J’ai été habitué très jeune à voir des têtes nouvelles de toute origine ethnique, social ou pays.

J’étais un élève peu studieux, un peu paresseux et gêné par une dyslexie.

Je ne comprenais pas pourquoi il fallait que j’apprenne des tas de choses, alors qu’il était si simple d’aller chercher l’information au Palais de la Découverte que je fréquentais assidûment les jeudi et le week-end.

Nous avons un sens de la famille très fort. Les réunions familiales étaient fréquentes. Un de mes plus vieux souvenirs à pour cadre la fin d’une de ses agapes. Je devais avoir 4 ou 5 ans. Mon grand-père me prenait sur ces genoux et partageait avec moi ses boudoirs trempés dans son dernier verre de vin du repas. J’étais très fier et aux anges, situation privilégié et peut-être, déjà, l’effet euphorisant de l’alcool.

Mon grand-père avait une maison en Normandie. J’y passais une partie de mes vacances. Lorsque nous rendions visite à des voisins normands j’avais droit au “ canard ” un sucre trempé dans “ la blanche ” (calva de l’année, 80° !), Si on l’oubliait je m’arrangeais toujours pour attirer l’attention et l’obtenir. Je me rappelle rechercher ce délicieux goût de pomme sucré. Je soupçonne ma mère de désapprouver, mais elle ne disait rien pour ne pas désobliger nos hôtes en dérogeant à cette coutume locale.

Pendant ces vacances normandes, mes 2 sœurs et moi avions droit le dimanche et aux grandes occasions, au cidre de mon grand-père (bouilleur de cru).

Quand toutes la cousinaille était là, de temps à autre, le jeu consistait à chaparder la clé du cellier. Une fois trouvé (c’est malin, les gamin de 10 - 12 ans !) Nous nous régalions à même la bonde, ivresse de braver l’interdit et de boire un breuvage réservé aux grandes occasions. Plus tard je jouais, de temps à autre, à ce jeu tout seul. Dans mon souvenir je recherchais surtout le goût ; la valeur d’un verre à moutarde suffisait à me satisfaire.

Nous allions aussi visiter les cousins du Berry. A partir de 10 ou 12 ans j’avais droit au verre de blanc le matin avec l’andouillette et au verre de “ p’tit gris ” (vin du pays) à 4 heures. Cela me plaisait surtout parce que je faisais comme les grands.


 2- L’adolescence

Adolescent, j’étais peu attiré par l’alcool, quoique les confiseries alcoolisées ne me déplaisaient pas.

Je n’aimais pas voir mon père ou mes oncles éméchés. Cela me m’étais mal à l’aise. Je sentais confusément qu’ils n’étaient pas dans un état « normal ».

Je pense que c’est vers mes 15 ans que mon père a viré vers l’alcoolisme ( 42 ans pour lui). Son docteur lui ayant offert une bouteille de Whisky en lui affirmant que le nectar écossais était souverain pour les artères et le cœur, contrairement au vin ! ! !

Mes études furent une suite d’échecs scolaires. J’y mis un terme en m’engageant à 18 ans dans l’espoir d’apprendre le métier d’électronicien. Pendant cette période militaire, je n’ai pas beaucoup consommé. Nous faisions de temps en temps une virée le samedi soir dans les rues de Nîmes, puis de Rochefort.

J’ai pris ma première cuite pour mes 19 ans, le 2 juin 1968. Cette soirée je m’en souviens de l’avoir vécu dans le style de boire pour boire comme tout bon militaire, 3 bière brunes à la et glou! et glou!, 1 quart de rouge et 1 de blanc pareil et on termine en beauté avec le calva à 80° du grand-père (¼ ou ½ litre?). La nuit d’horreur qui a suivit! Les couloirs qui tanguaient quand je suis allez vomir au wc complètement nu. Pendant mon sommeil je me suis vomi dessus.

Je n’ai plus bu une goutte de quoi que soit d’alcoolisé pendant plus d’un an, tant j’avais été écœuré.

Je ne me plaisais pas à l’armée et au début de l’année 1969 je fus rendu à la vie civile.

Je menais une vie de bohème sans contrainte, peut-être en réaction à la vie militaire. J’avais un patron sympa qui me laissait partir quelques semaines à mon gré si j’avais un remplaçant.

Pendant cette période il arrivait de me payer une bouteille de vodka (paraîtrait que j’ai aussi des origines slaves?!?!) que je vidais jusqu’à je sois assez saoul pour pleurer sur mon sort et celui de l’humanité! rien de régulier. Mais je cherchais déjà les effets de l’alcool plutôt que le goût.

Je parcourais les routes de France en stop à la recherche de lieu ou se vivait d’autre chose, comme L’ashram de Lansa del Vasto, Copain Ville et Taizé ou je rencontrais Christine, ma femme.

La rencontre est assez symptomatique. J’allais à l’office du soir quand je vis assises à l’entrée deux filles un peu folles qui offraient aux passants des œufs en gelée et du vin. J’ai accepté le vin mais pas les œufs !!! C’était Christine et sa cousine Karine qu’elle choyait plus qu’une sœur.

Nous nous sommes marié le 12 septembre 1970. Un mariage que mes beaux-parents ont précipité pour une raison que j’ignore encore, nous privant d’une grosse partie de la douce vie de fiancé. J’ai très mal vécu cette précipitation qui a profondément perturbé notre couple pendant très longtemps.


3- L’adulte et la vie de couple

Nous aimons beaucoup recevoir et faire la fête. Nous avions toujours à la maison de quoi payer un coup aux amis de passage.

Depuis tout jeune, je suis très anxieux et angoissé sans raison. Le médecin m’avait prescrit du Mandrax (interdit depuis) pour dormir. Un soir après avoir pris ce somnifère des amis sont arrivés. Nous avons trinqué ensemble. J’ai pris un seul verre de Whisky. Après qu’ils furent partis, je fus pris d’une étrange sensation, il fallait que je parle. J’ai commenté pour Christine, qui n’en avait rien à foutre, la série des Fondations d’Isaac Asimov pendant 3 heures! J’ai trouvé ce sentiment très agréable et j’ai renouvelé l’expérience plusieurs fois. Je me suis arrêté car j’ai trouvé cela dangereux. Je suis revenu à une consommation normale très modérée, mais explosive les jours de fiesta.

J’avais enfin trouvé ma voie: je serais animateur socioculturel puis directeur de centre social. Après un premier échec à l’examen d’entrée à l’école de la rue de Lisbonne, je fis une psychothérapie de 2 ans environ. Je fus enfin admis. J’obtins bourse, et logement CROUS.

Lorsque j'appris la nouvelle nous séjournions chez mes beaux-parents. Il me semble, que Christine était enceinte, ou jeune accouchée de notre 2éme enfant, Pascal. C'était un bel après-midi ensoleillé, nous étions dans notre chambre et seule ma belle-mère était présente à la maison. Christine était couché et moi assis au bord du lit avec les papiers de mon admission à l´école d´animateur sur les genoux.

Ma belle-mère est entrée dans notre chambre et a fait tout un discours pour me dissuader de ne pas faire ces études. Christine a commencé à sangloter puis à pleurer au fur et à mesure des arguments présentés par ma belle-mère. En gros, ceux-ci pourraient se résumer à ceci : cette profession était sans avenir et ne me permettrait pas de subvenir aux besoins de ma famille et l'école de la rue de Lisbonne peu sérieuse...

Christine n'émit aucune protestation, ni acquiescement aux propos de sa maman, rien que des pleurs. Partant du principe que "qui ne dit mot, consent", je pris ce "silence", ses pleurs, pour une approbation du point de vue de sa mère et qu´elle attendait de moi que je garde une situation plus stable.

La mort dans l´âme, et puisque Christine semblait approuver sa mère, je renonçais à cette carrière et restais à EDF. Fallait gagner la croûte!

A partir de ce moment, j´ai commencé, peu à peu à développer du ressentiment vis à vis de ma belle-mère, qui augmenta au fur et à mesure de mes échecs et des problèmes rencontrés par notre couple Le deuil non assumé de cette carrière, ressurgissait à chaque nouveau deuil (au sens large) aggravant mon ressentiment et augmentant ma dérive vers d’alcool. Je mis principalement sur le compte de ma belle-mère tous les problèmes rencontrés par le couple y compris les problèmes de gestion financière, pour m´avoir contraint à ne pas suivre mon projet et avoir empêché mon épanouissement et celui de notre couple.

Entre 1972 et 1982, nous faisions la fête dés que possible surtout le week-end. A ces occasions, je buvais de façon excessive. Entre 2 fêtes je n’avais pas envie de boire. Disons que je buvais raisonnablement. Nous finissions le soir la bouteille de vin ouverte le midi, lorsque nous prenions l’apéro 1 whisky me suffisait. Petit à petit lorsque nous prenions l’apéro j’en vint à prendre 2 puis 3 whisky. Un jour (1978 ou 79 ?) j’ai réalisé que je vidais 2 bouteilles de Whisky par semaine. Je stoppais aussitôt cette façon de boire et revint à une consommation modérée les jours ordinaires mais excessives les jours de fête. Je commençais aussi à mélanger le haschich et l’alcool à l’occasion, juste pour accentuer l’effet d’euphorie.

En 1980 nous avons été contraints de fuir au petit matin, la ville ou nous vivions pour une sordide histoire de gens qui voulaient nuire à une de nos amis en nous causant du tort.


4- Une occasion ratée 

En 1982 ou 83, lors d’une consultation médicale, je confiais à mon médecin, mon inquiétude sur le fait que je ne pouvais m’empêcher d’aller me coucher avec un verre de quelque chose d’alcoolisé sur ma table de nuit. Il me dit que cela était peu important et qu’il fallait mieux que je stoppe le tabac, plus nocif que l’alcool. Je fus renforcé dans mon idée que je n’avais pas de problème d’alcool, et en plus ! Je fume toujours!


5 - Le détonateur

Karine, la cousine de Christine, bien que vivant en Suisse, avait acheté une maison dans le Jura français. Nous y allions souvent. Le 25 août 1982 nous étions dans cette maison à attendre l’arrivée de Karine. Tout était prés, des provisions pour 1 semaine, de la nourriture, des boissons alcoolisés et une belle barrette de haschich.
Le soir, vers 20 heures, on frappe à la porte. Je vais ouvrir. Un gendarme en civil me demande d’appeler de toute urgence un N° de téléphone.
C’est un événement que je revis toujours avec une très forte émotion. Je vais à la cabine et je joins un de mes beaux-frères. La voix en larme il m’annonce que Karine vient d’être sauvagement assassiné devant les yeux de son fils de 3 ans par son compagnon du moment qu’elle voulait quitter, un policier héroïnomane du SAMU suisse.
Les jours, semaines et mois qui ont suivis on été particulièrement douloureux pour toute la famille. Notre fille Tatiana qui avait 5 ans à du être suivit longtemps par un pédo psychologue.
A partir de cet événement le couple a vraiment battu de l’aile. Je pense que cet épisode a été le détonateur de la bombe qui grandissait en moi depuis mes 5 ans.
Je m’alcoolisais de plus en plus souvent. J’entrecoupais ces périodes d’ébriété par des épisodes plus ou moins long d’abstinence. Cette façon de consommer m’a longtemps induit en erreur. Je n’avais pas de problème d’alcool et ne pouvais pas être alcoolique puisque je pouvais m’arrêter du jour au lendemain, que je ne buvais jamais avant 11 heures du matin et beaucoup seulement le week-end et en vacances. Pour moi un alcoolique (une injure) était quelqu’un qui buvait dés le matin. J’en avais les tristes exemples tous les jours au travail.
Dans un sursaut de survie dont Christine est coutumière, 2 ou 3 ans après l’assassinat de sa cousine, elle redressa la tête et entrepris une formation de conseillère familiale. Parallèlement je suivis une formation d’animateur puis de directeur en centre de vacances et de loisir.
Malgré cela, le couple était instable, les disputes fréquentes et violentes.


6- La première explosion

J’étais toujours très anxieux et angoissé. Mon médecin m’avait prescrit un nouveau somnifère. Je mis peu de temps à comprendre qu’associé à l’alcool il avait le même effet que le Mandrax.

Un soir, Christine étant couchée, après avoir pris mon comprimé, je vidais mon Whisky en fumant du haschich pur dans une pipe à alcool en soliloquant sur mes malheurs et tout ce que les autres m’avaient empêcher de faire et surtout cette conne de Christine qui ne faisait qu’écouter du Higelin et dilapider l’argent du ménage. Il fallait que j’aille le lui dire! et à 2 heures du matin je monte dans la chambre en gueulant après elle. Par la suite elle m’a dit que je l’avais frappé. En fait je ne me souviens vraiment pas de grand chose du seul épisode ou j’ai été très violent sous alcool. Mais j’avais fait fort en mélangeant 3 drogues.

Christine quitta le lendemain la maison. J’ai vécu Toute la journée du lendemain comme une longue errance, profondément affecté moralement et honteux de ma conduite que je jugeais abjecte. Mon autre beau-frère chez qui Christine s’était réfugiée la ramena à la maison et nous parla longuement du malaise qu’il ressentait dans notre couple.

A la suite de cet épisode nous avons commencé une thérapie de couple que nous n’avons pas terminé. Christine dit que c’est moi qui y est mis un terme. Maintenant que je suis abstinent et connais un petit peu, les mécanismes du comportement de l’alcoolique, je pense qu’elle a raison.


7- Un répit

Comme tous les 3 ans, une réforme de structure d’EDF fut mis en place en 1989 qui ne me convenais absolument pas. Je me mis dans un tel état d’esprit que je fis une sérieuse dépression nerveuse qui entraîna une hospitalisation de 15 jours. Je soupçonne les médecins d’avoir à mon insu entrepris un sevrage alcoolique, bien que le docteur chargé de mon admission avait conclu que l’on ne pouvait pas me considérer comme alcoolique mais plutôt buveur excessif. C’est la première fois que le terme d’alcoolique était inscrit dans mon dossier médical.

J’obtins ma mutation pour un poste en 3/8 sur une centrale nucléaire en Normandie.

J’étais très motivé et comme l’attribution de ce poste est lié à un examen médical très strict, je passais à la consommation voisine du zéro absolu pendant quelques mois. Nous avons emménagé en Juillet 1990 avec nos 2 filles à Dieppe. Les garçons étaient resté sur Paris, l’un pour son travail, l’autre pour ses études. Mon nouveau poste me procurait une confortable augmentation de mes revenus. Christine touchait le chômage puisqu’elle avait du démissionner suite à ma mutation. La période de début 1990 à fin 1993 fut relativement sereine, pour le couple.

En mars 1992
mon père décéda d’un cancer de l’œsophage, je crois , certainement induit par l’alcool. Ma grand-mère lui survécut 1 an ½ . J’ai été profondément affecté par ces 2 décès


8- Les années noires

Nous n’avons jamais su gérer notre budget. Malgré des revenus correctes nous avons du saisir la commission de surendettement. Je tenais Christine responsable de cette mauvaise gestion, car elle ne tenais pas compte de mon avis. En fait maintenant je ne saurais dire lequel de nous deux est le plus dépensiers.

Ma consommation d’alcool était excessive mais entrecoupé de période d’abstinence puisque j’étais soumis à 2 contrôles sanguins par an dans le cadre de mon emploi.

J’étais toujours anxieux et angoissé. Je mettais ça sur le compte de nos difficultés de gestion budgétaire. Mon médecin me prescrivait anxiolytiques, somnifères et antidépresseur et de l’Aotal sans explications claire sur son utilité. Christine me dit que c’était un médicament pour alcoolique. J’ai mis en doute ses dires puisque je ne me croyais pas alcoolique.

Tous les prétextes étaient bons pour m’alcooliser, rarement de façon délibérée. L’exemple de ma recette du baba au rhum est assez significative: vous prenez 1 litre de rhum. Vous en mettez un quart de litre dans le baba et verser le reste peu à peu dans le pâtissier. Vous faites un somme de 2 heures et vous êtes prêt à aller travailler de nuit. Nuit durant laquelle vous mangerez le gâteau après un repas bien arrosé.

Au cours du troisième trimestre 1993, je du me faire extraire la quasi totalité de mes dents tant elle se déchaussaient. Etait-ce un effet de l’alcool? Cette mutilation, ce deuil de ma dentition, fut encore un choc très sévère pour mon moral.

En 1991 nous avions adhéré à une association qui plaçait pendant les vacances des enfants victimes des conséquences de la catastrophe de Tchernobyl dans des familles Françaises. Nous avons reçu Oxana et Ira jusqu’à l’été 1994.

En mars 1994 je me rendis chez les parents de nos 2 petites Ukrainienne, à Brovary, banlieue de Kiev. Comme ils avaient déjà hébergé Christine en 1992, je ne fut pas trop sollicité et n’étais ivre qu’à 18 heures tous les jours. Un jour Vira, qui avait remarqué mon attirance excessive pour la vodka me servit une boisson que je pris pour de la vodka fermière. J’en bu plus d’1/4 d litre. En fait c’était du Sprit, alcool de fruit titrant 90°. Je suis rentré en France avec une hépatite alcoolique et 18 bouteilles de vodka pour les amis, à qui je n’en ai pas laissé beaucoup.

Je cachais ma consommation, pour ne pas avoir de réflexion de Christine ou des enfants. J’en étais honteux. Je me promettais les lendemains de cuite de ne plus recommencer et de modérer ma consommation. Comme je n’y arrivais pas, j’en éprouvais un sentiment confus de honte.

Lors des “ fiesta ”, Christine et les enfants s’ingéniaient à vider les bouteilles plus vite que moi dans l’espoir de limiter ma consommation, mais j’avais un verre d’apéro au salon, une bouteille dans la cuisine et une bouteille dans le garage attenant à la cuisine.


9- La rupture

La vie de notre couple fut extrêmement perturbée pendant toute la période de début 1994 à août 1995. Disputes très violentes en paroles, chambres séparés, brèves réconciliations.

Je me souviens qu’une fois Christine me lança à la figure “ Mais regardes ta tête! On dirait ton père ” Insulte très forte pour elle, n’ayant jamais accroché avec lui. Etait-ce parce qu’elle ne l’avait connu que dans sa période alcoolique?

Je pensais à l’époque que de toute façon Christine était le plus souvent responsable de ces disputes du à sa mauvaise gestion de nos ressources!

Comme je ne supportais plus cette situation financière angoissante, je renonçais en mai 1995 au gîte que j’avais réservé pour les vacances, sans consulter Christine. Je décidais également de ne pas partir en vacances, ni d’inviter nos Ukrainiennes. Nous n’en n’avions pas les moyens!

Passant outre à cette décision unilatérale, et profitant d’un gros rappel de salaire, Christine parti à l’île de Ré avec nos 2 filles. Je la conduisis à la gare. Avant de partir elle me dit gentiment que je pouvais la rejoindre même en train (la voiture n’était plus assurée depuis longtemps).

Je passais tout le mois de Juillet seul à ruminer. Je n’ais pas bu plus pour autant, voir même moins.

Au retour, nous étions tout content de nous revoir. Elle avait ramené du Pinaud des Charente. Nous avons bien bu ce soir la et avons tenté une réconciliation à l’horizontal. Ce qui n’étais pas arrivé depuis longtemps. Mais l’alcool avait complètement inhibé mes capacités. Comme souvent depuis 5 ou 6 ans ce fut un fiasco.

Un jour ou deux plus tard, je ne sais plus pourquoi mais la fragile trêve était rompu.

Je ne sais toujours pas pourquoi Christine pris la décision de me quitter à ce moment la. Quelle a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase? Je ne sais pas et maintenant cela ne m’importe plus de le savoir.

Je ne fis rien pour retenir Christine. La veille de son départ un couple d’ami est venu à la maison pour tenter de lui faire changer d’avis. Rien y fit et elle parti le 7 septembre 1995.

Après ce départ, je restais abstinent 2 mois et demi.

Tatiana resta avec moi. Plus pour rester auprès de ses amis que par esprit filiale.

A cette époque, mes supérieurs me firent remarquer mon haleine avinée quand je venais travailler. Je m’en tirais à bon compte en leur parlant de la rupture. Ils m’accordèrent un sursit.


10- Les années sombres

Je n’ai pas grand chose à dire sur les 2 années qui ont suivit. Pas de souvenirs tangibles ; tout est un peu confus, comme dans un brouillard grisâtre.

Je réussis à remonter les finances. Mais je n’étais pas pour autant libéré de mes angoisses et anxiété.

La veille d’un des contrôles sanguins bisannuelle, je pris une cuite. Un peu embarrassé je me soumis à la prise de sang. Je fus surpris que le taux de Gamma GT fût inférieur à 80. A compter de ce jour je ne fis plus les sevrages préventifs. J’en restais à ma façon de boire habituelle, jamais avant 11 heure le matin. Je me réveillais souvent trempé de sueur froide. Dans mon idée, c’était un bon signe, comme pendant une grippe le corps évacuait les toxines, me disais-je. Ce qui devenait embarrassant c’est que lorsque j’étais de quart du matin, ces sueurs froides arrivaient vers 10 ou 11 du matin, selon la dose d’alcool bu la veille.

Mes supérieurs recommencèrent à me reprocher mon haleine avinée quand je venais travailler. J’avais beau leur expliquer que j’avais un appareil dentaire et qu’il devait rester dessous quelques gouttes du seul verre de vin bu pendant le repas, ça ne prenait pas.

Je supprimais l’alcool lorsque j’étais de quart d’après-midi, jusqu’à ce que je découvre ces merveilleuses petites pilules qui masquent toutes les odeurs.

J’entrais en conflit avec mon chef d’équipe. En novembre 1996 je changeais d’équipe. Je ne fis pas une bonne affaire. Presque toutes les nuits de quart, nous faisions un repas très arrosé, bien que la consommation d’alcool soit réglementée de façon drastique dans le nucléaire.

Lorsque je devais travailler de nuit, je me faisais la promesse de ne pas boire plus d’une bouteille de vin le midi. Je n’ai jamais pu la tenir. Dans le meilleur des cas j’allais au boulot ivre ou je téléphonais prétextant une gastro (très pratique comme excuse). Dans le pire j’étais tellement ivre que je ne pouvais pas répondre au téléphone lorsque mon contremaître appelait pour savoir si je venais travailler. Bien sur mon sentiment de honte vis à vis de moi en prenait un coup à chaque fois, augmentant mon anxiété et du coup, inconsciemment, mon envie de boire pour calmer ses angoisses.


11- Prise de conscience. Je me soigne

Je me sentais si mal à l’aise que j’en vins à la conclusion que je devais reprendre une psychothérapie.

Un jour de mars 1997, je pris encore une terrible claque émotive! Christine avait un cancer du poumon. Malgré le fait que j’avais vécu le départ de Christine comme une trahison, j’étais toujours terriblement attaché à elle et amoureux. En plus elle refusait que je vienne la voir. Je ne comprenais pas pourquoi.

Mes enfants sont tous restés à mon coté pendant cette période. Je crois qu’ils m’ont toujours fait confiance, peut-être inconsciemment. Mais ils n’aimaient pas me voir ivre.

Laurence, la troisième de nos enfants, a d’ailleurs eu, à mon avis, un impact important dans ma prise de conscience. Comme je m’embêtais ferme tout seul, elle me prêta la série Ramsès de Christian Jacq. Je réalisais qu’il me fallait lire une phrase plusieurs fois pour la comprendre. J’étais incapable de me souvenir du début lorsque j’arrivais à la fin 3 lignes plus bas. Lorsque j’appelais mes enfants au téléphone pour le raconter une anecdote ou autre événement, ils me faisaient remarquer régulièrement avec gentillesse que je le leur avais déjà appelé la veille pour le leur dire.

Je ne me souviens plus de la chronologie exacte de ce que je vais dire maintenant. Je n’ai apparemment pas de séquelles physique du à ma période d’alcoolisation. Seule la mémoire en aurait pris un coup.

Un soir je devais recevoir Laurence et son compagnon. Comme elle n’aimait pas me voir ivre, pour lui être agréable je n’achetais que 2 bouteilles de rosé. Une pour nous 3 à table et une pour après le repas, comme je le faisais 5 ou 6 ans avant. Je bus les 2 bouteilles à moi seul. Mais cela ne suffisait pas. Comme je n’ai jamais fait de stock depuis le départ de Christine dans l’espoir de réguler ma consommation, je cherchais ce que j’avais d’alcoolisé à la maison. Je pris une bouteille d’eau de toilette à 55°, la mélangeait avec du sirop de menthe et je la bu. Je vous déconseille ce cocktail, c’est immonde. Le médecin venu le lendemain à ma demande était formé en alcoologie. Je me souviens lui avoir dit être alcoolique, mais pourquoi ? Puisque je ne reconnaissais pas comme tel? Peut-être pour l’amadouer et obtenir l’arrêt de travail espéré. Il était prêt a m’hospitaliser craignant une ulcération de l’estomac. Il ne l’a pas fait. Aurais-je gagné quelques mois ou perdu quelques année?

Régulièrement mon psychiatre soulevait très finement le problème de mes relations à l’alcool. Il n’était pas besoin d’être devin pour un professionnel de voir que j’avais un problème d’alcool.

Pour calmer mes angoisses mon médecin traitant m’avait prescrit du Xanax 50, à une dose assez forte. Mon psychiatre trouvant qu’il faisait double emploie avec un autre anxiolytique me conseilla de le stopper. J’arrêtais le traitement un mercredi soir. Le vendredi suivant j’allais à Paris chez mon fils Pascal. Je bus très peu pour lui être agréable. Le samedi je fus pris d’une terrible crise de manque au Xanax. Je me frappais la tète contre les murs. Je faisais des pompes. J’avais une très forte envie de me jeter par la fenêtre pour faire cesser cette souffrance. A un moment j’ai tendu la main vers une bouteille de whisky. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai compris que si je prenais ce whisky ce serais pire. Finalement Tatiana (élève infirmière à l’époque) me sorti de ce mauvais pas en me donnant un autre anxiolytique.

Un jour, bêtement, en me relevant du siège des toilettes, je vis mon visage dans le miroir. Mais cette fois-ci je le regardais vraiment, comme si je ne m’étais pas regardé dans une glace depuis 20 ans. J’ai été effrayé, devant moi il y avait un inconnu au visage rouge et bouffi.

Affolé et angoissé, j’appelais ma sœur aînée, alcoolique et abstinente depuis 2 ans. Elle me parla avec gentillesse et bonhomie et me rassura. Une dizaine de jours plus tard elle me remit le livre “ Vivre sobre ” des alcooliques anonymes en me faisant un petit commentaire sur cette association.

J’eus beaucoup de difficulté à lire ce livre écrit pourtant très simplement et en gros caractères.


12- Abstinent vers la sobriété

Une semaine plus tard j’assistais à ma première réunion des alcooliques anonymes. J’y suis arrivé sans idées préconçues, sans le désir d’arrêter de boire, ni le désir de continuer de boire. Je pense que ma souffrance morale était si forte que j’étais prés à tout accepter pour qu’elle cesse. J’ai beaucoup utilisé les services du téléphone, à jeun, comme ivre. Les amis inconnus, qu’ils soient normands ou parisiens m’ont beaucoup aidé ainsi que les participants des 2 groupes Dieppois. J’ai acquis au cours des mois de juin et juillet 1997 le désir d’arrêter de boire grâce à eux. Je n’étais abstinent que par intermittence, mais je commençais à ne plus avoir honte le lendemain, d’avoir bu la veille.

A la mi-juillet après avoir bu 2 bouteilles de rosé, j’allais voir mon médecin et lui dis mon désir de faire une cure. Deux jours plus tard je recevais par courrier ma date d’admission à la clinique des Essarts prés de Rouen. Je fis une postcure au centre hospitalier Le Mont Blanc en Haute-Savoie.

Pendant ces séjours un psychiatre diagnostiqua que j’étais maniaco-dépressif cyclothymique et on me donna un traitement adapté que je prendrais peut-être toute ma vie, débarrassé de ces piques d’angoisse ou d’euphorie.

De mon retour le 19 novembre 1997 au 2 mars 1998 je vécu une abstinence entrecoupée de quelques réalcoolisations. Je participais activement et goulûment à un maximum de réunion des AA tout en poursuivant ma psychothérapie.

Durant le mois de décembre 1997, Christine m’appela au téléphone, on eut une discussion très conviviale. Le lendemain, ayant constaté un énorme changement autant dans ma voix que dans mes propos, Christine me rappela et me demanda si elle pouvait venir me voir ! J’acquiéssais, à la seule condition qu’elle prenne contact avec les Al-Anon, autant pour qu’elle sache ce qu’était un alcoolique que pour se protéger en cas de rechute de ma part. Elle vint me voir fin janvier 1998. Après ce séjour, elle me demanda de reprendre la vie commune. Après 2 mois de réflexion j’acquiéssais.

Le 4 avril 1998, pendant la consultation mensuel, mon médecin me demanda quand j’avais bu pour la dernière fois; Je me rendis compte stupéfait que je ne le savais pas. Je lui est demandé quand étais-je venu le voir la fois précédente.

C’était le 3 mars 1998.

Je suis abstinent depuis ce jour et Christine m’a rejoints le 7 juin 1998.

Je chemine doucement, un jour à la fois vers la sobriété. Est-ce que ce sera aussi long que pour en arriver à l’abstinence? ça n’a pas d’importance, mais je sais que ce sera infiniment moins douloureux.

Finalement, Christine et moi avons enfin réalisé un rêve de 30 ans : avoir notre maison.

Nous avons emménagé à Aytré (commune limitrophe de La Rochelle) le 18 juillet 2001. Nous avons vécu de façon très intense jusqu’au 11 octobre 2001 ou le cancer à eu raison de la ténacité à vivre de Christine. Avec le recul, je réalise que ces 3ans ½ passés depuis son retour ont été les plus denses que nous n’ayons jamais vécu ensemble, Christine et moi.

Malgré ce deuil très douloureux, je n’ai pas ressenti d’envie d’alcool. Cela semble prouver que j’ai fait un bon travail de deuil pour mon alcool.

Merci de m’avoir lu ou écouté.

Et comme on dit à Dieppe :

« Boûjoû bien et du mieux pour vos yeux »


Autre témoignage : L'alcool on peut dire que j'y suis tombé dedans dès mon plus jeune âge.




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