Lorenzo Lotto, "Venus et Cupidon"  Metropolotan Museum N. Y
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Etudes sur la pudeur et la communication sexuelle


LA PUDEUR DANS LA
COMMUNICATION SEXUELLE


[english]




1 - Freud puis Darwin...
2 - L'impossible assimilation
3 - Des acquis boudés par l'anthropologie
4 - Quand le langage s'en mêle
5 - Le point ultime de la pudeur
6 - Une mutuelle exclusion



L'animal ignore toujours la pudeur dans ses actes de reproduction. Cette flagrante réalité appelle d'une part une réflexion sur la communication sexuelle chez les animaux, d'autre part un regard comparatif plus interrogateur sur la sexualité humaine.


Freud puis Darwin...

Une telle voie d'approche a été très peu exploitée par les scientifiques. Ce fait est d'autant plus curieux que le modèle animal leur est familier. Une réserve pudique affecterait-elle aussi le discours scientifique?

Curieusement, pour expliquer ce déficit de connaissance, on ne peut sous-estimer l'influence de Freud et du freudisme. Pour ce chercheur la sexualité constitue un déterminant social fondamental mais il ne faut pas oublier sa détermination à ne connaître pour modèle que les sciences physico-chimique pour représenter le jeu des pulsions dans le psychisme.

Par le suite, le symbolisme a rapidement constitué l'axe de la doctrine analytique.

Cela n'a rien arrangé car ici se repère la coupure la plus nette entre l'homme et l'animal. Or c'est justement sur le lieu même de cette coupure que se place l'axe fertile d'une recherche sur le phénomène pudique.


L'impossible assimilation

Le darwinisme, contemporain de Freud, pouvait mettre les scientifiques sur la voie d'une certaine convergence entre l'homme et l'animal. Mais il faut alors tenir grand compte des critiques qui ont assailli et diabolisé cette révolution de la pensée.

Aujourd'hui encore pour certains courants rétrogrades, l'homme ne peut valoir que par ses différences avec l'animal et jamais par ses similitudes qu'il faut repousser avec horreur (et dont la plus frappante est la sensibilité pornographique observée chez les singes supérieurs identique à celle des humains).

Mais la sexualité a pour l'homme un caractère sacré et l'humain, pour sa dignité, dans l'instant où il s'accouple, si coupable en fut-il depuis les origines, et peut-être à cause de cela, ne peut être réduit à l'état d'animal... qui justement n'est jamais coupable.


Des acquis boudés par l'anthropologie

On sait cependant comment chaque espèce animale dispose d'un système de "rites" sexuels. Ces rites sont évidemment non-linguistiques. Chaque variété dispose, pour sa "pariade" d'un ensemble de "balises" et signaux attractifs, olfactifs, tactiles, visuels ou vocaux... Ceci constitue leur parade sexuelle. Et l'on rappellera que si les plus évolués des singes supérieurs n'ont aucun comportement pudique, ces signaux et balises, chez eux comme chez nous, fonctionnent à partir d'images" érotiques.

Malgré la timidité du regard clinique en ce domaine, on peut constater que l'homme, assujetti à la même fonction, dispose de moyens analogues, y compris l'échange de nourriture.

Nous sommes donc pourvus de certains "repères" sexuels au niveau de la vue, l'ouïe, l'odorat, etc.. Les coquetteries du geste, de la voix et du langage, du vêtement, remplissent des fonctions que l'on retrouve chez l'animal comme autant de signaux, d'invite et de séduction mutuelle.

Et lorsque vient le moment d'ôter le vêtement, entrent en jeu des stimuli plus spontanés, plus directement corporels, provenant des attitudes, des formes, des contacts, des odeurs. Mais aux mêmes fins de quête sexuelle, l'homme utilise son pouvoir de parole. Cela a pour conséquence que l'essentiel des problèmes psychosociologiques posés à l'humain par la sexualité repose sur ce fait que nous utilisons deux registres distincts : linguistique et extralinguistique, là où les animaux n'en utilisent qu'un.


Quand le langage s'en mêle

Nul n'est soustrait au registre extralinguistique. Il est en éveil, d'abord par le voir et l'être vu, dans le repérage constant, inné, continu, des identités, de la réceptivité sexuelle des personnes côtoyées et du désir qu'elles inspirent.

Plus avant, dans la rencontre corporelle l'un et l'autre partenaires se motivent dans des attitudes, des conduites d'appel, qui, surtout par la vue, le regard, les gestes physiques et les gestes phoniques, sont déjà du plaisir.

C'est une évidence que l'acte amoureux se réalise et se conclut dans une communication consciente et active, dont les fondements sont totalement extérieurs au langage. Le langage n'est pas nécessaire au désir. Le plaisir n'a pas besoin d'être nommé pour exister.

Ni le fonctionnement sexuel, ni les actes de génération, ne sauraient distinguer l'animal non pudique de l'homme pudique. Le fait dominant qui désigne l'humaine condition n'est autre que la superposition dans notre espèce de ce deuxième registre de communication.

On sait que la parole, d'abord soumise à une somme de déformations, d'inversions, s'efface tandis que l'émotion érotique occupe le rang privilégié. Quant au geste érotique qui appelle et signifie le plaisir, il est aussi, un acte de communication. Mais celui-ci se confond avec le plaisir lui-même, et ne connaît aucun substitut symbolique.

Est-il utile de préciser que la parole est exclue des moments les plus intenses de l'amour? L'orgasme n'est pas le moment du bavardage. Les mots qui l'accompagnent sont répétitifs et incantatoires, simples gestes phoniques qui ne sont pas des paroles.

La jouissance est conditionnée par une sortie hors du langage.


Le point ultime de la pudeur

Tel est le point central du phénomène pudique : chez l'individu doté de parole, les deux ordres de communication s'excluent mutuellement. Ainsi le mode verbal s'efface au fur et à mesure que s'enrichit le versant non-linguistique, corporel, voluptueux de la rencontre sexuelle.

On peut voir à cela une raison précise : si par le geste et la parole, souvent associés, l'invite, promesse de plaisir, est en même temps déjà le plaisir, on peut conclure que signifié et signifiant sont confondus en une seule et même réalité. La scénographie érotique a la fonction d'assurer une communication entre les êtres, mais l'irruption de gestes guidés par la jouissance exclut le signe linguistique. Il s'y substitue une communication faite de signaux non arbitraires, sans rapport logique avec le langage humain.

Une telle compétition n'est pas anodine : dans l'amour, la chose communicante et la chose communiquée (autrement dit signifié et signifiant) deviennent indistingables et ceci exclut l'émergence d'un sens.

On peut maintenant redresser une illusion qui pourrait laisser croire que la relation rapprochée serait vécue dans une totale impudeur: il n'en est rien, la pudeur, en tant qu'inhibition linguistique y est même toute puissante dans sa manifestation constante qui est l'abolition de la parole.


Une mutuelle exclusion

La pudeur paraît traduire une réaction émotive qui surgit dès que se profile la mise en concurrence du langage et d'une communication extralinguistique. S'il est clair que dans la relation amoureuse la mieux consentie, l'émoi érotique contredit la parole, il est important de savoir qu'un outrage impudique coupe la parole pareillement et laisse la victime sans voix. Les deux événements, qui agissent dans le même sens, obéiraient-ils à des processus identiques?

Certes le "lâcher prise" érotique est recherché et acquis avec le plaisir, il en fait partie. Mais l'offense impudique, qui agresse et humilie, provoque chez la victime une inhibition intellectuelle et verbale qui interrompt toute élaboration de l'esprit.

Ceci mérite réflexion car, si l'on peut imputer au bonheur érotique et à l'outrage un effet commun inhibiteur sur le langage, il faut constater que tout les sépare et les oppose dans le vécu intime.

Tout, sauf la question sexuelle. Comment, dans l'émoi érotique d'une part et dans l'offense impudique d'autre part, se différencient des sentiments subjectifs si opposés?

Par quelle subtilité peut-on, dans l'amour, obtenir l'un sans subir l'autre?



H. Gervex, Etude pour Rolla , Coll. particulière







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