Les
négations dans le discours pudique Les perturbations du langage sont essentielles à la compréhension de l'alcoolo dépendance. François Péréa Université Paul Valéry - Montpellier III Vers le texte intégral |
Nous nous attachons ici aux fonctionnements de certaines négations remplissant une fonction pudique, par exemple lors d'un aveu, dans un discours honteux. Dans le discours, est marqué de pudeur ce qui ne peut être dit à autrui que difficilement, que ce dire constitue une atteinte d'amour propre pour le locuteur ou une offense pour l'interlocuteur. Mais la négation ne se contente pas de nier ce qu'il y a de honteux: elle permet aussi de dire ce qui était inavoué. Nous examinerons les négations exprimées par ne/pas (= marqueur lexical). Dans le discours oral, le premier terme (ne) peut disparaître sans remettre en cause le fonctionnement de la négation avec ces deux termes. Le matériau que nous utiliserons ici provient de textes enregistrés (corpus): * conversations entre alcooliques (ayant pour caractéristique le déni de leur état morbide); * corpus littéraire (ici: Bel-Ami de G. de Maupassant); * entretiens privés et intimes. Après avoir présenté la négation, nous analyserons ses occurrences dans nos corpus. Nous présenterons ensuite de deux modalités opposées de la négation dans le discours pudique (pour taire / pour faire) et un ensemble de remarques sur les rapports entre la négation et la pudeur. 1. Préalables théoriques Complexes et diverses, les négations se laissent difficilement expliquer d'une seule manière. Négation descriptive et négation polémique On distingue les négations qui ont une valeur descriptive de celles qui ont une valeur polémique. La négation descriptive. Sa valeur descriptive découle de l'affirmation d'une propriété négative. Ainsi, en énonçant "Cette boisson n'est pas sucrée" à un diabétique, le locuteur ne fait que décrire (avertir). La négation polémique, au contraire, "sert à opposer un point de vue à une personne ". La négation polémique à proprement parler suppose un conflit d'opinion entre une forme affirmative et une forme négative. Négation polémique - négation descriptive, la distinction ne doit pas être tranchée. D'une part "Tout énoncé renfermant ne/pas véhicule une description", et d'autre part, la négation descriptive dérive de la négation polémique (par effacement de l'énoncé positif correspondant). Négation complète et négation restreinte La négation est dite complète lorsqu'elle porte sur la proposition entière: elle déclare la fausseté de l'ensemble de l'affirmation correspondante. A l'inverse, la négation restreinte porte sur une partie de la proposition. Exemple: "Les élèves n'ont pas cassé les vitres". S'il est faux que les élèves ont cassé les vitres, nous avons affaire avec une négation complète. Par contre, si les élèves n'ont pas cassé les vitres mais les craies, la négation est restreinte: elle ne porte plus sur la proposition entière mais seulement sur la partie "les vitres". Polyphonie, dialogisme et négation On peut également concevoir la négation à la lumière de la polyphonie = plusieurs "voix" argumentant un énoncé (déjà dit, emprunt, discours cité, etc.) et permet de distinguer le sujet parlant (celui dont on cite les paroles) du locuteur (qui les énonces). Négation, implicite, interprétation La négation peut être soumise à interprétation. Elle s'inscrit ainsi dans un processus de communication à quatre protagonistes: l'acte de langage est produit pour un récepteur donné; cet émetteur est aussi un énonciateur réel interprétant différent de l'énonciateur fictif construit par le récepteur. Dés lors, l'acte de communication renvoie aux savoirs supposés des sujets sur le monde (conventions sociales, statuts des individus, pouvoir reconnu) qui déterminent, pour une part, les rapports imaginaires entre les protagonistes. Dès lors, la signification dépend en grande partie des circonstances du discours, lesquelles intègrent d'une part les savoirs supposés qui circulent et d'autre part les points de vue réciproques des protagonistes. On distingue trois stratégies de négation: a) les stratégies de refus en réponse à une demande de dire ou de faire; b) les stratégies de rejet ou de mise en question, qui résultent d'une interprétation du propos; c) les stratégies d'affrontement ou d'opposition, qui mettent en jeu des rapports de force entre les protagonistes. Négation, dénégation et déni Nous traduisons la Verneinung freudienne par "dénégation". Pour S. Freud, l'énoncé négatif peut être interprété de manière positive: "Nous prenons la liberté, lors de l'interprétation, de faire abstraction de la dénégation et d'en extraire le pur contenu des idées". Cette interprétation est rendue possible par le fait que ce qui est rendu dans le discours, nié par le moi, est néanmoins un contenu de l'inconscient. Grâce à la dénégation, ce contenu peut passer le seuil de la conscience (mais) sous une forme négative. "Nier quelque chose en analyse signifie en fait: Voici quelque chose que je préférerai refouler [à]... Au moyen du symbole de la négation, le penser se libère". La dénégation est donc une opération du moi par laquelle le sujet accueille intellectuellement un contenu de pensée tout en s'en défendant. Toutes les négations ne sont pas des dénégations; toutes les négations (nous le verrons) ne viennent pas barrer l'affirmation d'un contenu inconscient insoutenable. Au contraire certaines occurrences nous montrent que la négation peut permettre d'affirmer: le locuteur nie le contenu opposé de ce qu'il veut dire. Certaines négations, si elles ont vocation à cacher une "vérité", ne la cachent qu'à autrui: le locuteur a conscience de son mensonge mais ne veut pas ou ne peut pas affirmer le contenu. Pour terminer cette première approche de la verneinung, il convient de la distinguer de la verleugnung habituellement traduite par déni. Le déni renvoie à une double opération de reconnaissance puis de refus. Le sujet accepte dans un premier temps sous sa forme positive, affirmative, le contenu jusqu'alors refoulé, puis le remet en cause. Autrement dit avec des exemples: - dénégation: "j'ai rêvé d'une femme, ce n'était pas ma mère" (le psychanalyste entendra: "c'était ma mère"; l'exemple est de Freud); - déni: "j'ai rêvé d'une femme, je sais bien que c'était ma mère. Mais quand même" (l'exemple est de M. Mannoni). 2. Présentation d'occurrences Nous présentons maintenant les négations dans nos corpus. Ces descriptions seront discutées pour comprendre le phénomène de la négation dans le discours pudique. (1) "Le whisky, je l'aime pas" {il ne s'agit pas de la boisson que l'alcoolique consomme ce jour-là mais de l'une de ses boissons privilégiées !} Si l'on accepte la définition que nous donnions plus haut de la dénégation (nier ce qui est "réel", mais nous ne savons pas si ce vrai est su par le locuteur), nous pouvons considérer cette occurrence comme telle. En effet, le locuteur dit ne pas aimer une boisson qui est une de celle qu'il privilégie même si ce jour-là, il consommait autre chose. Intégrée dans une conversation, la description est polémique: elle apparaît en réponse à "Le gars il nous servait des whiskies". (2) "on est tous plus ou moins alcoolique [...] ah, j'ai pas dit rond, alcoolique c'est différent, c'est pas la même chose. Moi, des fois, j'ai bu des canons mais je suis pas... tu ne me verras pas tituber ni rien du tout". La négation est de type polémique: elle concerne le signifiant rond que le locuteur écarte au profit d'alcoolique. Le locuteur précise ce qui pourrait être mal compris. Dés lors, une autre voix se fait entendre: celle qui s'en tiendrait au signifiant rond, et qui serait celle que le co-énonciateur aurait (mal) entendue. Notons que la forclusion concerne le rond c'est-à-dire l'adjectif désignant le honteux: celui est rejeté hors du champ du "on" dans lequel le locuteur est inclus. Il est intéressant de noter la succession des négations dans ce passage où il est question, pour le locuteur alcoolique, de se définir dans son rapport à la boisson. Nous n'avons pas affaire avec une définition positive mais négative: le sujet rejette tout ce qu'il refuse, "conformément" au déni de ce type d'alcooliques qui refusent de reconnaître la pathologie de leur comportement. Dés lors, on se demande si ce qu'il rejette n'est pas "justement" ce qu'il y a affirmé. (3) Mme de Marelle : [...] J'ai le désir de faire un tour, je ne vois pas en quoi cela peut te fâcher... Il se leva exaspéré (Georges Duroy / Bel Ami): "ça ne me fâche pas. Cela m'embête. Voilà". La négation de Bel-Ami est "polémique": elle porte sur un signifiant (fâche) que le locuteur refuse pour qualifier son état. La polyphonie de la négation est ici claire: Duroy reprend le terme de sa maîtresse pour le nier et en préférer un autre (embête). Ce cas est donc celui d'une stratégie de rejet du propos d'autrui qui sous-tend une interprétation mise en question. (4) Le locuteur est un homme marié qui s'est toujours définit comme un hétérosexuel: "T'aimes l'inattendu?" "Le choquant?" "Heu {pause} rapport à la première expérience sexuelle {pause} c'est pas avec une femme {pause} voilà mon scoop!" La négation est restreinte: elle porte sur le signifiant femme. Précisons qu'elle s'inscrit comme négation (auto) polémique: le locuteur s'oppose à précédent récit de sa première expérience sexuelle avec une femme. Ici, la forclusion de femme montre combien celle-ci n'appartient pas à la réalité du vécu de la première expérience. L'homme, non-dit dont il est question, est pourtant bien présent: "pas avec une femme" implique ici "avec un homme". (5) "Mais je suis pas contre (5a) {longue pause} si c'est avec un homme, ça m'a pas manqué mais ça m'a effleuré l'esprit (5b) mais pas vivre avec quelqu'un ou tu vois venir ... Non si ça m'était arrivé euh {pause} par hasard machin un soir heu {pause} je sais pas c'est ce serait pas non quoi (5c) mais ça c'est pas fait et puis voilà." La négation (5a) est plutôt descriptive et elle est restreinte, portant sur le contre (pas contre). Ici elle consiste en l'évitement de l'affirmation "je suis pour". Dés lors, on peut décrire ces deux syntagmes comme relevant du déni: j'y pense un peu mais quand même... pas beaucoup. Deux négations se succèdent en (5c). "Je sais pas" est descriptive: elle renvoie au doute, à un savoir quasi forclos, comme s'il était craint. "Ce serait pas non" suppose que "ce serait oui" (le conditionnel reste comme marque du doute). Soulignons dans ce passage la multitude des négations qui apparaissent lorsque l'aveu coûte à celui qui le produit. (6) {B. avoue quelques minutes avant qu'il désire J.} "comme J. La dernière fois elle a dit en rigolant que je téléphonais toujours, que je voulais coucher avec elle. J'étais mal: "N'importe quoi! Je veux pas coucher avec toi!" Nous trouvons ici un cas de stratégie d'affrontement (ou d'opposition), un "rapport de force entre les protagonistes" (1992:74). En effet, B s'oppose à la jeune fille (e1 est l'énoncé de J: "elle a dit [...] que je voulais coucher avec elle"). La négation est donc polémique et on peut la qualifier de complète. Nous ne pouvons parler ici de dénégation ou de déni puisque le locuteur a parfaitement conscience de son penchant pour J: cette négation est un mensonge. (7) L'enfant vient de renverser son verre et accuse son frère: "C'est pas moi, c'est I." Ici encore, un exemple de négation polémique (en réaction à l'accusation parentale) qui correspond à une stratégie d'affrontement. La négation est restreinte: elle porte sur le pronom personnel moi auquel sera substitué le prénom du frère. A nouveau, nous ne pouvons parler ici de dénégation ou de déni puisqu'il s'agit d'un mensonge qui ne trompe qu'autrui. 3. Les négations pudiques La pudeur se présente comme une ligne de partage, fluctuante, mobile selon la situation, selon celui à qui on s'adresse, selon son humeur, sa force ou sa fragilité du moment. Une ligne de partage donc, qui délimite "l'entre-deux" qui détermine la parole. La pudeur est tension, double tension à autrui et soi-même. A autrui, parce que la parole prononcée à son adresse, portée à son attention, ne doit pas le choquer plus que ne le permet la règle sociale; à soi-même parce qu'entre "savoir et vérité", représentation et réel la pudeur pose le voile sur l'indicible. Aussi hétérogène soit-elle, la pudeur se situe toujours entre un non-dit et un dit (car la retenue fait bien barrage à une force, à un courant de parole). Cependant, nous aurions tort de considérer la pudeur uniquement comme un empêchement du dire. En effet, elle peut aussi être la précaution sans laquelle la parole ne peut advenir. Pour revenir au cas de la négation, on remarque que l'aveu est très souvent accompagné de celle-ci (cf. exemple 5 supra). Qu'en est-il de la pudeur dans les extraits que nous avons présentés? En guise d'approche des négations pudiques, on peut proposer une distinction entre celles qui disent et celles qui taisent. 3.1. La négation pudique pour le taire La vérité se définit comme: 1. Caractère de ce qui est vrai; adéquation entre la réalité et l'homme qui la pense. 2. Idée, proposition qui emporte l'assentiment général [...] La vérité apparaît ainsi comme une adéquation consensuelle entre perception et conception. Le psychanalyste emploiera réel pour désigner ce qui n'est pas symbolisable. Le réel échappe donc au sujet qui se meut dans les rets d'une réalité, du langage. La distinction vérité / réel est une des apories du linguiste. Face au non-dit, celui-ci ne sait souvent pas si le locuteur: - ne veut pas dire une vérité dont il a conscience, - ou s'il ne peut pas dire un réel impensable (déni ou dénégation). Le linguiste ne peut pas toujours faire le choix entre le mensonge (le locuteur nie ce qu'il sait vrai) et la dénégation ou le déni (le locuteur refuse le réel, s'inscrit en discordance par rapport à celui-ci. Dans les extraits que nous avons présentés, seules les occurrences (6) et (7) peuvent être qualifiées de mensongères avec certitude: (6) Je ne veux pas coucher avec toi (alors que le locuteur a fait part de ce désir); (7) C'est pas moi, c'est I. (alors que l'enfant vient de commettre la bêtise et ne veut pas se faire punir). Les autres occurrences nous confrontent à une contradiction insoluble par le raisonnement (aporie). En ce qui concerne le locuteur alcoolique, l'hypothèse du déni, si elle la plus vraisemblable, n'en est pas pour autant vérifiable, lorsque l'on entend (1) "Le whisky je l'aime pas" {alors qu'il s'agit de l'une des boissons privilégiées} ou (2) "Tu ne me verras pas tituber" (alors que les effets de l'alcool sont bel et bien présents). L'extrait (2a) "J'ai pas dit rond, alcoolique c'est différent, c'est pas la même chose" {où l'alcoolique est, comme tous les hommes, tout au plus un gros buveur et est situé à l'écart de la stigmatisation} semble tenir du déni avec sa part de reconnaissance et de refus (marqué ici la nouvelle dénomination). L'extrait (5b), sur l'aveu de penchants homosexuels, semble aussi être du ressort du déni: ça m'a pas manqué mais ça m'a effleuré l'esprit, par le recours à la double opération de refus, concession moins "compromettante". Enfin, dans l'extrait de Bel Ami, nous savons grâce à l'auteur que les sentiments de Duroy sont très intenses ("il se leva exaspéré") alors que le locuteur les minimise en réaction à Mme de Marelle: "Cela ne me fâche pas, cela m'embête, c'est tout". Bel-Ami ment-il délibérément à sa maîtresse ou se trompe-t-il lui-même? Qu'elle soit partielle (refus d'un signifiant) ou complète (refus d'une proposition entière), la négation peut remplir une fonction pudique de retenue, de discrétion, dans les cas que nous venons de voir. Cette fonction peut-être liée à la crainte de la réaction de l'autre (sanction de l'enfant en 7), réaction d'autant plus importante qu'elle s'inscrit dans une relation en miroir. Nous sommes, en effet, soumis à une censure non consciente de nos actes qui pourraient contrevenir aux usages sociaux. Au delà de la guidance culturelle de nos comportements, il faut souligner la répercussion du regard d'autrui sur l'image de soi. Dans le cas précis de la négation, on ne peut parler de refoulement car il y a quelque chose de dicible, mais de retour du refoulé sous une forme négative (dénégation) ou désinvestie et partiellement refusée (déni). Dans les deux cas (dénier / mentir), la négation pudique vient pointer un refus du positionnement de l'image (pour autrui ou soi): refus d'être l'ivrogne stigmatisable (en 2a) ou l'homosexuel au désir irrépressible (5b), par exemple. La négation pudique concerne alors l'indicible (à soi-même) ou le caché (à autrui). 3.2. La négation pudique pour le dire Si la négation est un moyen de ne pas dire, elle permet également d'affirmer, non sans quelques précautions. Dans nos extraits nous trouvons les négations restreintes suivantes: (4) la première expérience sexuelle {pause} c'est pas avec une femme; (5a) mais j'suis pas contre {pause} si c'est avec un homme. (5c) Si ça m'était arrivé heu {pause} par hasard machin un soir heu {pause} je sais pas c'est ce serait pas non quoi! Il est intéressant de souligner que toutes ces négations sont restreintes. Elles portent sur un signifiant (femme, contre, non). Partant de là, on peut démontrer comment le sens apparaît à la suite d'opérations de contrariété, contradiction et implication. Pour ce faire, nous utilisons le modèle appelé "carré d'oppositions" ou "carré d'Aristote". être heureux-----------CONTRAIRE------------être malheureux ![]() Ce carré est valable pour des paires antinomiques (bien et mal, vrai et faux, chanceux et malchanceux). Il suppose une et une seule alternative. Il est pertinent pour les extraits (4), (5a) et (5c). Les paires opposées (dont un seul terme est donné) sont ici (et dans les contextes précis) : homme/femme (4), pour/contre (5a) et oui/non (5c). Le sens de l'énoncé résulte alors d'une opération de contrariété (axe des contraires) suivie d'une opération de contradiction (axe des contradictoires) qui conduit à l'implication : (5a) Je ne suis pas contre. ![]() 1. Sélection de l'antonyme ("contre" à la place de "pour"); 2. Négation syntaxique (ne/pas) de l'antonyme; 3. On obtient une affirmation par implication. Grâce à ce procédé, la négation du contraire permet l'affirmation sans avoir à prononcer le signifiant positif et sans utiliser la forme affirmative qui suppose, dans ces cas, une implication plus importante. Dés lors, la négation apparaît sous sa forme pudique en ce qu'elle permet l'affirmation sans avoir à en supporter la prise en charge totale. Ainsi, elle permet grâce à ce double détournement d'affirmer: (4) "ma première expérience sexuelle > c'est avec un homme" (5a) "je suis pour < si c'est avec un homme" (5c) "ce serait oui < avec un homme" La négation pudique, qui permet de dire avec précaution, est accompagnée d'autres procédés de minimisation. On relève ainsi de fréquentes hésitations (nombreuses pauses dans les passages d'aveu, "euh"), des restrictions conditionnelles, "si", conditionnel, ("mais pas vivre avec un homme"), la mise en avant de l'absence de passage à l'acte ("mais ça c'est pas fait"), l'annonce du caractère exceptionnel ("inattendu", "voilà mon scoop"), etc.. La négation pudique et les précautions qui l'accompagnent soulignent ainsi que la parole est difficile, partiellement assumée, exceptionnelle et extraordinaire. Une parole d'aveu où se dit ce qui, jusqu'alors, ne pouvait qu'être tu, le honteux, le secret. 3.3. Les négations et la pudeur La pudeur langagière s'inscrit entre l'indicible et le dit. Elle occupe cet espace frontalier et accompagne l'aveu, la venue de la parole. La négation rend compte de ce passage par paliers, du taire au dit. i. Au départ, il y a l'indicible absolu, barré, refoulé, qui ne parvient au sujet sous aucune forme. ii. Le nier à soi-même se présente sous la forme de la dénégation, la représentation n'est plus refoulée : elle parvient à la conscience, mais dite sous une forme niée, ou celle du déni (la représentation est dénigrée, n'est pas acceptée pour ce qu'elle est). iii. Le nier à autrui renvoie au mensonge: le sujet a conscience du contenu qu'il juge honteux et/ou préfère le cacher à autrui par crainte de sa réaction iv. La négation pour dire est une des précautions de la parole d'aveu: elle permet de ne pas affirmer pleinement le dire honteux, le signifiant tabou, que ce dire choque l'énonciateur, le co-énonciateur ou les deux à la fois. v. Le dit enfin (s'il n'est même pas soumis au déni) consiste en l'affirmation assumée de l'objet de discours et du discours lui-même pris en charge, accepté. Cette progression théorique n'a pas vocation à rendre compte de tous les possibles ni même de toute représentation indicible. Elle nous permet juste de souligner la place des différentes négations pudiques (taire à soi, à autrui / dire avec précaution). Elle montre comment la pudeur compose avec le honteux dans la trame de la rencontre où s'inscrit la représentation de soi. Les différentes approches de la négation, que nous avons pointées précédemment nous invitent à cette rencontre avec la pudeur. Cette approche de la négation souligne l'importance la distinction entre négation polémique et négation descriptive, la première soulignant le conflit d'opinion. Nier, dans cette perspective, revient à manifester son désaccord et l'on devine déjà qu'il y a parfois intérêt à se taire. La tension apparaît jusqu'à un certain point où le locuteur préférera mentir pour éviter de décevoir les attentes d'autrui, s'opposer à lui, risquer son interprétation et son jugement, et ainsi modifier l'image de lui-même qui lui sera renvoyée : pitié, moquerie, critique, courroux. Enfin, il peut arriver que dans son histoire le locuteur pousse ce mensonge jusqu'à se tromper lui-même. 4. Conclusion Notre objectif n'est évidemment pas de décrire toutes les négations. De nombreux outils et théories existent qui remplissent cette tâche. Nous souhaitons seulement présenter divers fonctionnements de la négation dans le discours pudique. On remarque que la négation, dans ce contexte, remplit plusieurs fonctions en posant le voile de la pudeur (négations pour le "taire", renier) ou soulevant celui-ci avec précaution (négations pour le dire). De ce point de vue, les modalités et fonctionnements de la négation pudique pointent le travail subjectif et intersubjectif sous-tendant la parole, travail "à vif", dans la parole d'aveu, le discours sur ce que les participants peuvent juger choquant ou honteux. Ils soulignent ainsi le travail de défense de la parole, et le leurre du jugement qui conduirait à penser que "le langage devrait être fidèle comme la perception devrait être véridique" (V. Jankélévitch). BIBLIOGRAPHIE : voir texte intégral |
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