QUESTIONS SUR UN HÉROS

Jean Morenon & Valérie Mayan


Abrégé d'un article publié dans la revue SYNAPSE dans le numéro de décembre 1997.

Texte abrégé, vers le texte intégral. 

[ English ]



1 - Une célébrité inégalée
2 - Pourquoi Mickey?
3 - Un grand communicateur
4 - La contribution d’un architecte
5 - Claude Kohler et le schéma de Fulton
6 - Image optique et image psychique


Une célébrité inégalée

Le héros dont nous allons "examiner le cas" a peu de points communs avec ceux qui peuplent les romans, les séries ou les bandes dessinées. Il n’est ni Astérix, ni Robin des bois, ni Superman. Il ne tire sa notoriété d'aucun exploit légendaire.

D’autres noms comme Robinson, Peau d’Âne ... sont attachés à des actes exemplaires. Rien de tel pour Mickey. Celui-ci est mis à l’épreuve de fortunes très variées selon qu'il est aviateur, tailleur, apprenti sorcier ou chef d'orchestre, mais il n'est ni prince ni ramoneur...

La seule comparaison qui nous vienne à l’esprit est celle de Renard du célèbre Roman. L’un et l’autre, dans nos mémoires, valent par leur personnalité plus que par les événements dans lesquels ils évoluent. Mais, tout les oppose dans leurs traits psychologiques: la petite souris est d'une honnêteté naïve tandis que Renard est d’abord rusé et malhonnête.

Mickey, qui n'en a jamais l'étoffe, est héros malgré lui. Pris au piège de sa naïveté, il est glorieux sans l'avoir voulu. Il n'en a pas moins acquis une célébrité inégalée: existe-t-il, dans notre monde une seule demeure où l'on ne puisse trouver une image de notre héros.


Pourquoi Mickey?

Les représentations du célèbre personnage ne sont-elles qu'un gadget humoristique placé là pour nos enfants? Sont-elles des effigies, mais de qui et de quoi ? Mickey n'est pas Astérix aux ressources inventives inépuisables, ni Tintin intrépide à l'intelligence généreuse?

En réalité, l'innocence craintive, naïve, mais attentive et débrouillarde, de notre Mickey ne le rapproche-t-elle pas de l'enfance?

Ne serait-il pas un modèle de l'âme enfantine qui viendrait contredire le fameux "pervers polymorphe" que l'ancêtre Freud voit dans chaque enfant?

Assurément, le cinéma d'où il est né a été pour quelque chose dans ce succès contagieux. Mais reconnaissons que la souris d’Amérique est rapidement sorti des écrans pour entrer dans les demeures sous des formes plus traditionnelles: album, effigie, figurine...





Cela était sans doute lié à ce fait que le cinéma ne laisse qu'une image distante et fugitive. Il est alors remarquable que la célèbre souris, indéfiniment répétée, indéfiniment reproduite envahisse l'univers infantile et vienne à son contact.

Car les représentations de Mickey ornent les objets ou les espaces de l'enfance, surtout son intimité rapprochée: vêtements, jouets, articles de toilette ou scolaires, gobelets, assiettes.

Comme si, en Mickey, quelque chose qui ne passe pas par le langage faisait déjà partie de l'âme enfantine.


Un grand communicateur

Ainsi Mickey, est-il compagnon de nos enfances depuis plusieurs générations. Une psychologue, Edwige Antier qui s'intéresse à ce "héros" le décrit "astucieux, au caractère typé, mêlant l'intelligence avec la franchise et la générosité".

Cela un tout petit enfant le perçoit sans qu'il soit nécessaire de lire les histoires qui accompagnent l'image.

Remarquant la coïncidence entre l'image du personnage et les dessins de bonhommes produits par de jeunes enfants, elle étudie l'image de Mickey à la manière des psychologues: comme si un jeune sujet produisait ce dessin de lui-même et révélait par là son propre caractère.

Que dit cette lecture?

Dans cette étude elle examine:

- les différentes parties du corps et leurs proportions;

- les accidents repérés sur ces dessins et révélateurs des problèmes de l'enfant qui dessine.

Première observation: la tête de Mickey est démesurée par rapport à son corps. Le fait est commun dans les représentations d'un "bonhomme" par des enfants de moins de six ans. Ce constat s'explique ainsi: "La tête est le lieu de communication avec milieu environnant et de sa compréhension", les oreilles participant à cette amplification.

Après les proportions, le dessin du visage des yeux et de la bouche "indiquent une sérénité courageuse".

Mickey, aux yeux immenses ouverts sur le monde, ne craint pas de regarder les choses en face. On le voit très présent et la clairvoyance se reflète dans ce regard immense. Ses pupilles, bien dilatées, sont rassurantes alors que "juste un petit point au centre est donné comme l'expression d'une peur".

Mickey "est curieux mais ne redoute pas ce qu'il peut découvrir": pour preuve, justement, ses "grandes et larges oreilles" ... "prêtes à capter toute information venant de l'extérieur".

La bouche de Mickey est immense, et cela écarte "l'ombre d'une quelconque culpabilité orale" qui viendrait jeter un doute sur sa sincérité. Cette bouche charnue, avide et sensuelle, révèle une mère telle que tous les enfants voudraient avoir: généreuse, dispensatrice d'amour et de nourriture.

Le nez démesuré est en rapport avec la sexualité. Il indique aux enfants, en les rassurant, que leur héros n'échappe pas à la fameuse angoisse de castration.

Le cou de Mickey est une partie variable de son l'image:

- lorsqu’il est absent il place le modèle au niveau des enfants de cinq à six ans (où il est souvent omis dans le dessin);

- lorsqu’il est visible (ce qui advient sur les dessins d’enfants entre six et sept ans) il indique alors "un plus fort désir de contrôler ses pulsions".

Edwige Antier remarque les mains immenses et y voit "le désir d'exploration, d'action et la sociabilité... la disponibilité et la confiance". Le petit bonhomme aux mains largement ouvertes "n'est pas un cachottier".

Les grands pieds, ronds largement étalés indiquent la stabilité. Mais aussi, et ce qui est le plus souhaitable pour un enfant: "le bon équilibre entre l'attraction pour les deux parents".

Ainsi: "chaque détail de Mickey nous le montre comme un miroir des préoccupations de l'enfant encore immature, mais en pleine évolution".

On remarquera que d'autres personnages animaliers peuplent l'univers infantile, l'ours et le loup principalement. Le loup est entièrement chargé de valeurs négatives. Menace toujours invisible, là est son rôle. Quant à l'ours même si chaque enfant en possède un, chacun aura l'identité que lui donne son propriétaire.

On ne saurait nier l'originalité de l'approche proposée par Edwige Antier qui se situe à mi-chemin entre l’enquête projective et la morphopsychologie.

Le personnage de Mickey est éloigné des contes de fées même si les aventures de Mickey sont parfois entrelacées avec des êtres féeriques, merveilleux ou héroïques, le personnage est d'abord caractérisé par la manière dont il vit ses aventures c'est-à-dire par son tempérament.

Ce tempérament est si bien perçu dans la physionomie et le geste qu’il fait de Mickey un compagnon aimé, même pour un enfant qui ne capterait aucun récit.

Car Mickey, né muet, est resté très discret en parole (à la différence de Donald). Il n'est un personnage de conte que par emprunt ou par antiphrase (comme le petit tailleur). Ce qui ne l'empêche pas d'être "un grand communicateur".


La contribution d’un architecte

Si identification il y a, elle n'est pas dans l'héroïsme du personnage. Le lien n'est pas moins très fort avec l'âme enfantine et ce lien se comprendra mieux si l'on suit les recherches d'un architecte, Hébert-Stévens sur certaines représentations humaines primitives.



Fig. 1: pétroglyphe du Val Camonica


Si: "La tête est le lieu de compréhension du milieu environnant et de la communication" certaines images traduisent cette réalité. En particulier la bouche, les yeux, mais aussi les oreilles et le nez qui prennent une place considérable dans les motifs et les thèmes ornementaux.

Nous sommes loin de Mickey. Mais dans les apparences seulement. Il en va autrement si l'on fait le rapprochement entre certaines gravures rupestres et la cartographie du cerveau humain (appelés schéma de Fulton ou l’homonculus de Penfield).



Fig. 2: Le schéma classique de Fulton opposé à son symétrique.


L'auteur laisse entendre, une corrélation entre l’expression artistique et la complexion même de l’organe de la pensée, reflet, en vérité, de sa fonction communicante. A considérer cette correspondance, on peut se demander si la mise en forme de la relation au monde ne serait pas mentalement organisée par l’instrument de cette relation: autrement dit par l’appareil nerveux sensoriel et moteur qui transmet le monde qui nous entoure à la conscience.



Fig. 3: Le même schéma complété des aires visuelles et auditives


Où donc est la petite figurine dans ces représentations? Elle est très facile à retrouver: il suffit de réajuster le schéma de Fulton en plaçant dans leur véritable orbite deux zones visuelles et acoustiques. Chacun peut alors voir réapparaître le petit bonhomme de Walt Disney.

Pour résumer, nous dirons que la surface anatomique des aires du cerveau est proportionnelle aux fonctions sensorielles des segments corporels. On le sait, cette représentation ne correspond pas à la surface extérieure du corps humain. L’importance des échanges entre le monde et l'être pensant n’a pas la même densité sur toute la surface de l’être dans sa réalité apparente.

En somme le corps visible ne coïncide pas avec le corps sensoriel: c'est le corps sensoriel que l'enfant habite et qu'il perçoit dans son Mickey.


Claude Kohler et l'image psychique

Cl. Kohler psychologue lyonnais, étudiant le dessins d’enfants remarque que le rapport avec les êtres et les choses (et le monde en général) ne correspond pas à l’image optique qui nous est donnée du corps humain.

Les orifices sensoriels, yeux, oreilles, et bouche, la face, les membres supérieurs et les mains ont une place et un rôle bien plus important.

A partir de ce rappel, il observe que chez l'enfant, la première représentation humaine est une figure plus ou moins circulaire avec des traits imprécis à l’intérieur; rond qui donne l’idée de la forme générale: tête et tronc, ou tête seulement (fig. 5).

"Tout de suite après, l’enfant dessine dans ce cercle les yeux, le nez et la bouche".



Fig. 4: Dessins d’enfant de 3 - 4 ans


Plus tard, vers quatre ans, avec le cercle et les deux prolongements inférieurs, apparaissent les détails à l’intérieur du cercle; les yeux d’abord, puis la bouche et le nez. Le tronc tend à se séparer de la tête.

La phase suivante voit la figuration des mains et des pieds, pour les mains, les détails prédominants étant les doigts, "la sensibilité tactile la plus grande et la plus différenciée s'y localisant".

Comme Hébert-Stévens il renvoie le lecteur au dessin anatomique, en suggérant que l’enfant ne fait que reprendre, reproduire, ou mieux, projeter l’empreinte, le calque de son système nerveux: "l’image psychique" plutôt que l’image optique.



Fig. 5: Art de Chavin



"L'image optique du corps est indépendante de l'image tactile" (Schilder)

Dans le monde occidental, l'image optique, héritée de la raison tend à se défaire de l'image psychique. La représentation de celle-ci n'est pas pour autant omise, elle apparaîtra, séparée et distincte, dans les thèmes littéraires et artistiques.

Le psychologue, le neurophysiologiste et mieux encore l’artiste semblent confirmer que les mécanismes de structuration des formes internes et celui des formes tirées du monde extérieur, sont "en correspondance avec leurs sources biologiques" (H. - S).

On remarquera cependant qu'il est un grand absent dans le schéma de Fulton, comme chez Mickey: c'est l'appareil sexuel. Celui-ci n'est pas répété au niveau des aires corticales concernées. Que peut-on conclure de cette absence? Que la fonction génitale est soustraite au système relationnel gouverné par l'action volontaire. On peut remarquer que les zones du corps humain qui appellent un cache-sexe sont justement les parties manquantes du schéma de Fulton. Les pudeurs visuelles et linguistiques trouvent là leur explication.

Mais pour le sujet qui nous concerne, depuis la première enfance jusqu'à la période de latence, on conviendra que cela n'est justement pas prépondérant. Mickey constitue l'exacte représentation fonctionnelle d'organes interactifs avec le monde et par lesquels l'être sensible édifie la conscience de soi.



Le 18 novembre 1928 première apparition cinématographique de la célèbre souris.




Bibliographie

Edwige Antier. Pourquoi tous les enfants aiment Mickey. Eshel édit. Paris 1988.
Hebert-Stévens, L’art ancien de l’Amérique du Sud, Arthaud, Paris.
Claude Kolher, L’image du monde extérieur et de sa propre personne chez l’enfant. Annales médico -psychologiques. 123ième année, T. 1. N° 2, fév. 1965.







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